Anik Bessac et Gilles Bontoux seront au Salon du livre Cap de Lire à Antibes le dimanche 8 mai 2022 de 10 h à 18 h pour présenter et dédicacer leurs livres.



Nouvelles Éditions Noir au Blanc
Les Nouvelles Éditions Noir au Blanc sont une maison d'édition qui publie entre trois et cinq ouvrages par an, surtout des romans et des recueils de nouvelles.
Anik Bessac et Gilles Bontoux seront au Salon du livre Cap de Lire à Antibes le dimanche 8 mai 2022 de 10 h à 18 h pour présenter et dédicacer leurs livres.
Anik Bessac et Gilles Bontoux seront au Salon du livre du Castellet (83) le dimanche 12 décembre 2021 de 10 heures à 18 heures pour présenter et dédicacer leurs livres.
Gilles Bontoux sera le lundi 22 novembre 2021 à la bibliothèque de l’Oustau de Fontaine-de-Vaucluse pour présenter Quelques instants trop courts, un recueil de quinze nouvelles paru aux Nouvelles Éditions Noir au Blanc. À partir de 14h30, l’écrivain animera une conférence, suivie d’un débat, autour de l’art de la nouvelle, illustrée par son dernier ouvrage.
Article paru dans « Vaucluse-Matin » suite à la conférence-débat d’Anik Bessac à propos de ses romans à suspense et en particulier autour de son dernier Méfie-toi de la Bête qui dort. Cette conférence a eu lieu le 18 octobre 2021 à la bibliothèque du foyer Oustau à Fontaine-de-Vaucluse. Line Ditta était la responsable et l’organisatrice de cette rencontre littéraire.
Conférence-débat d’Anik Bessac autour de son livre
Méfie-toi de la Bête qui dort
le 18 octobre 2021 de 14h30 à 17 heures
à la bibliothèque de l’Oustau de Fontaine-de-Vaucluse
Anik Bessac animera une conférence-débat autour de son roman à suspense Méfie-toi de la Bête qui dort, publié aux Nouvelles Éditions Noir au Blanc, pendant laquelle l’écrivaine évoquera le genre littéraire Suspense en général et sur son propre style d’écriture en particulier. Cette conférence aura lieu le 18 octobre 2021 de 14h30 à 17 heures à la bibliothèque de l’Oustau (responsable : Line Ditta)
Anik Bessac et Gilles Bontoux seront samedi 18 septembre 2021 en séance de dédicaces à l’Espace Culturel Leclerc de Carpentras de 10 heures à 18 heures pour présenter leurs derniers livres.
ESPACE CULTUREL – CARPENTRAS
Samedi 18 septembre 2021
de 10 heures à 18 heures
Anik Bessac
L'écrivain Gilles Bontoux sera lundi 13 septembre 2021 à la bibliothèque de Fontaine-de-Vaucluse à 14h30 pour y parler de Rimbaud et Verlaine à travers son roman Absinthe et y présenter ses autres livres.
C'est un trou de verdure où chante une rivière, Accrochant follement aux herbes des haillons D'argent ; où le soleil, de la montagne fière, Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons. Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue, Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu, Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue, Pâle dans son lit vert où la lumière pleut. Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme Sourirait un enfant malade, il fait un somme : Nature, berce-le chaudement : il a froid. Les parfums ne font pas frissonner sa narine ; Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine, Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.
Un poème composé par Paul Verlaine et Arthur Rimbaud en octobre 1871
Obscur et froncé comme un oeillet violet Il respire, humblement tapi parmi la mousse Humide encor d’amour qui suit la fuite douce Des Fesses blanches jusqu’au coeur de son ourlet. Des filaments pareils à des larmes de lait Ont pleuré, sous le vent cruel qui les repousse, À travers de petits caillots de marne rousse Pour s’aller perdre où la pente les appelait. Mon Rêve s’aboucha souvent à sa ventouse ; Mon âme, du coït matériel jalouse, En fit son larmier fauve et son nid de sanglots. C’est l’olive pâmée, et la flûte caline, C’est le tube où descend la céleste praline : Chanaan féminin dans les moiteurs enclos !
Il faut, voyez-vous, nous pardonner les choses :
De cette façon nous serons bien heureuses
Et si notre vie a des instants moroses,
Du moins nous serons, n’est-ce pas ? deux pleureuses.
Ô que nous mêlions, âmes sœurs que nous sommes,
A nos vœux confus la douceur puérile
De cheminer loin des femmes et des hommes,
Dans le frais oubli de ce qui nous exile !
Soyons deux enfants, soyons deux jeunes filles
Éprises de rien et de tout étonnées
Qui s’en vont pâlir sous les chastes charmilles
Sans même savoir qu’elles sont pardonnées.
Ce poème sans titre de Verlaine a été écrit en 1873, alors qu’il avait fui sa femme en compagnie de Rimbaud, et fait partie du recueil Romances sans paroles
AGRESSION
D’abord la douleur. Puis le choc. Peut-être l’inverse. Ou bien les deux en même temps.
Un peu comme lorsqu’on met le doigt dans une prise de courant. Un choc électrique violent. Celui qui laisse quelqu’un sur le carreau, complètement sonné, un filet de bave dégoulinant de la commissure des lèvres.
Petit à petit, mon corps se réveille : je sens des fourmillements le long de mes jambes, le long de mes bras, une multitude de petites aiguilles douloureuses qui me font gémir de plus en plus fort et jaillir des larmes qui coulent sur mes joues.
Mes plaintes ont le mérite de faire disparaître le sifflement désagréable qui me perçait les tympans. Je ne ressens dans mes oreilles plus que les pulsations de mon pauvre cœur qui essaie tant bien que mal de remettre la machine en marche.
J’aimerais essuyer mon visage couvert de salive et de larmes, mais je n’arrive pas à remuer mes bras. Ni mes jambes, d’ailleurs.
Je me force à ouvrir les yeux. Je n’y vois rien, c’est le noir complet. Je sens que je manque d’air, que je m’étouffe. J’ai du mal à respirer. Mon cœur s’affole. C’est sûr, il va lâcher ! Que se passe-t-il ? Qu’est-ce qu’il m’arrive ? Je serre très fort les paupières jusqu’à ce que les battements de mon cœur ralentissent un peu. Il faut que je me calme, que je réfléchisse !
J’inspire profondément et quelque chose frôle mon nez, ma bouche. Je souffle et inspire à nouveau. La chose se colle à mon visage. Une chose rêche et malodorante. De la toile, épaisse… Je souffle de toutes mes forces avec ma bouche pour la décoller de mon visage, je tourne ma tête dans tous les sens, j’ai l’impression que l’air ne parvient pas à passer au travers.
Et puis, soudain, je réalise trois choses à la fois : il y a une forte odeur d’essence, j’entends un bruit de moteur par-dessus les battements de mon cœur, et mon corps est ballotté dans tous les sens !
Je suis dans une voiture !
Mais comment ? Pourquoi ? Il faut que je me souvienne…
Je me concentre très fort pour rassembler mes souvenirs. Je marchais dans la rue, rapidement.
Je courais presque, car j’étais en retard.
À demi garée sur le trottoir, devant le portail d’une maison, il y avait une fourgonnette, les portes arrière grandes ouvertes. Un type en combinaison blanche de peintre était en train de fourrager à l’intérieur. J’ai quitté le trottoir pour contourner la voiture et là, le trou noir… Et puis, maintenant, cette voiture qui m’emporte, mon corps dissimulé sous une bâche.
Une giclée de bile remonte dans ma gorge et manque m’étouffer. J’ai peur.
Il n’y a pas de doute : je viens de me faire kidnapper.
Nuits blanches
1
Lilie n’a pas fermé l’œil de la nuit. Ou, du moins, c’est l’impression qu’elle ressent lorsqu’elle voit le jour se lever par la fenêtre du salon.
Elle a passé son temps à se redresser, s’asseoir, tourner en rond dans la maison, essayer de joindre Capucine sur son portable. D’ailleurs, elle a dû en saturer la messagerie, car elle ne parvient même plus à laisser un message.
Et là, maintenant, elle ne sait plus quoi faire. Doit-elle aller à la gendarmerie déclarer que sa sœur n’est pas rentrée ?
Il faudrait alors qu’elle tombe sur une jeune recrue. Parce qu’elle imagine bien la tête d’un ancien gendarme, qui lèvera les yeux au ciel en prenant sa déposition. Car ils la connaissent, là-bas, à la gendarmerie. Ce n’est pas la première fois qu’elle y court, à la première heure du jour, pour déclarer la disparition de Capucine. Sa sœur n’en est pas à sa première fugue !
Ce n’étaient pas des fugues, à proprement parler. Plutôt des absences spontanées, des départs inopinés sans prévenir qui que ce soit. Surtout après une dispute. Souvent, Lilie n’avait pas le temps de se ronger les sangs que sa sœur était déjà de retour. Sauf une fois…
Lilie n’oubliera jamais ce week-end terrible de la fin du mois de juin, même si cinq ans se sont écoulés depuis. Elle était rentrée du travail un peu plus tard que prévu et Capucine n’était pas là à l’attendre. À cette époque, elle était encore élève au collège. Comme c’était la fin de l’année scolaire, plus personne n’allait en cours. Capucine passait son temps à se promener dans L’Isle, ou à aider bénévolement des associations. Lilie préférait encore cela à l’imaginer traînant toute la journée sur son lit, même si la Bête était devenue inoffensive.
Ce soir-là, en rentrant, elle avait d’abord pesté contre sa sœur : alors que Pussy devait se charger de faire un peu de ménage, rien n’avait été rangé. La vaisselle de midi traînait dans l’évier, et la chambre était sens dessus dessous. Il est vrai que Capucine n’était pas très courageuse pour ce genre de chose. Elle attendait toujours le dernier moment pour se lancer dans les activités ménagères. Mais, en général, lorsque Lilie rentrait, c’était fait. Ce soir-là, rien !
Lilie s’était attaquée au ménage avant de réaliser qu’il était tard, et que Capucine aurait dû être rentrée à la maison depuis longtemps. Alors, comme aujourd’hui, elle s’était mise à faire les cent pas, et avait attendu toute la nuit avant de se précipiter à la gendarmerie aux premières lueurs de l’aube. Elle s’était jetée comme une folle sur le gendarme à l’accueil :
— Ma sœur a disparu !
On ne signale pas beaucoup de disparitions, à la gendarmerie de la petite ville. Aussi, on s’était immédiatement occupé d’elle. On l’avait fait asseoir, on lui avait proposé un café, et on lui avait posé tout un tas de questions sur son identité, sa vie, sa famille :
— Où sont vos parents ?
— Ma mère est décédée depuis longtemps, et mon père est handicapé. C’est moi qui m’occupe d’elle.
Lilie ne tenait plus sur sa chaise. Elle se retenait de se mettre à hurler en rongeant ses ongles. Jamais Pussy n’était partie de cette façon. Souvent, elle avait claqué la porte sur un coup de colère, en criant qu’elle ne reviendrait plus. Mais Lilie la retrouvait invariablement dans la cabane au fond du jardin, accroupie, les mains sur ses oreilles, se balançant tout doucement pour se calmer.
Au bout d’un moment, le gendarme qui prenait sa déposition avait levé la tête :
— Vous êtes sûre qu’elle n’est pas partie faire la fête avec des amis ? Elle a quinze ans, votre sœur !
— Elle n’a pas d’amis. Et elle a peut-être quinze ans sur le papier, mais pas dans sa tête. Ma sœur est une personne vulnérable.
Il avait soupiré tout en relisant ses notes. Lilie avait craqué :
— On perd du temps, là ! Ma sœur est peut-être en danger, peut-être enlevée par un pervers, et vous ne bougez pas !
Il avait pris le dossier à la main et s’était levé :
— Rentrez chez vous. De notre côté, on va lancer une alerte. On va tout faire pour la retrouver, votre sœur !
Ils n’avaient pas eu besoin de chercher longtemps.
Lorsque Lilie s’était garée devant son portail, son voisin lui avait fait de grands signes :
— Vous avez trouvé mon petit message ?
Tout de suite, le cœur de Lilie avait fait un bond dans sa poitrine :
— Quel message ?
— Celui que j’ai mis dans votre boîte aux lettres hier soir. Les enfants ont emmené Capucine avec eux !
Le voisin avait une fille de l’âge de Capucine et un garçon un peu plus âgé, qui venait d’avoir son permis de conduire. Lilie s’était sentie devenir écarlate. Elle s’était mise à hurler :
— Vous vous rendez compte ? Je n’ai pas dormi de la nuit ! J’arrive de la gendarmerie où j’ai déclaré la disparition de ma sœur ! Et personne ne m’a prévenue !
Le voisin avait baissé la tête d’un air contrit :
— J’ai frappé à votre porte pour vous le dire, mais il n’y avait personne. C’est pourquoi je vous ai mis un mot dans votre boîte aux lettres. Capucine a dit à mes enfants que vous étiez d’accord. Ils sont juste allés voir un concert en plein air à Avignon, et ils pensaient dormir sur place. Ils ne vont pas tarder à arriver, d’ailleurs.
De colère, Lilie avait claqué la porte de la maison derrière elle.
Elle avait passé un savon à Capucine lorsque celle-ci était rentrée, ce qui lui avait valu deux jours complets d’un silence boudeur. Et des regards réprobateurs à la gendarmerie où elle s’était rendue pour faire cesser les recherches immédiatement. Mais cela avait servi de leçon : sa sœur ne s’était plus jamais absentée sans la prévenir. Alors, aujourd’hui, Lilie est sûre que quelque chose de grave est arrivé. Enfin, presque sûre. Parce qu’il y a eu le petit accrochage d’hier. Et puis, si elle réfléchit bien, le comportement de Capucine n’est plus le même depuis quelque temps. Alors, que faire ?
Attendre tout en imaginant le pire ? Tout en se disant qu’on perd un temps précieux ? Elle en a l’estomac noué au point d’en avoir la nausée. Elle surveille les aiguilles de la pendule du salon jusqu’à ce qu’elles indiquent enfin huit heures.
C’est peut-être un peu tôt pour appeler chez quelqu’un le samedi matin, mais elle ne tient plus. Elle compose le numéro de Georges. Il répond au bout de la cinquième sonnerie, d’une voix bourrue et ensommeillée :
— Allô ! C’est moi ! Lilie ! Capucine n’est pas rentrée !
En prononçant ces mots, sa voix s’étrangle et elle fond en larmes. À l’autre bout, Georges se racle la gorge :
— Depuis quand ?
Lilie renifle bruyamment :
— Hier soir. Elle devait revenir de Marseille par le train. Je suis allée à la gare de L’Isle, à celle d’Avignon, elle n’y était pas !
Vous pouvez suivre toutes les actualités d’Anik Bessac en cliquant sur les icônes ci-dessous :
PAR UNE CHAUDE APRÈS-MIDI D’ÉTÉ
Ils sont arrivés par une chaude après-midi du mois d’août. Je me souviens. Il faisait si chaud, ce jour-là. Lorsque je fermais les yeux, je me remémorais de vieilles images, de vieilles senteurs. Je revoyais les contours tremblants des collines du Djebel, j’entendais les coups de feu sous les orangers, dans le parfum du jasmin.
Je me suis mis à frissonner. Il faisait près de quarante degrés, et je frissonnais. La peur, cette vieille compagne, était toujours au rendez-vous, plus de vingt ans après. Il me semblait encore entendre la voix de cet abruti de Marsan, capitaine de son état, nous crier des ordres. Je voyais les yeux de ces hommes qui donnaient leur vie pour une cause que je savais juste, je voyais la mort au bout de mon fusil. Je frissonnais, essayant, en vain, de chasser ces souvenirs.
Ils sont entrés dans le bar. Ils étaient trois. Au début, j’ai cru que c’étaient des touristes allemands. L’homme était blond, avec des yeux bleus ; il était assez grand et était vêtu d’un short rouge. Mais la femme, elle, n’avait rien d’une Allemande. Elle a commandé une bière pour son mari, et un jus d’orange pour elle et pour l’enfant. Elle parlait notre langue, pas très bien, et avec un léger accent espagnol. Pourtant, elle portait également un short, bleu ciel, et aucune Espagnole, qu’elle soit de Madrid, de Valencia ou même de Barcelone, n’oserait s’habiller ainsi. Et puis, j’ai entendu parler leur petit garçon :
— Il n’y a pas de sirop de menthe ?
Ils étaient Français, bien sûr, mais je crois que je n’avais pas voulu y penser. La voix de Joào m’a fait sursauter :
— Alors, tu joues ?
Notre partie de cartes menaçait de s’éterniser : je jouais avec Nuno, contre Joào et Julian qui faisaient toujours équipe ensemble. Nuno avait un peu plus de soixante ans, et son visage couturé, rempli de cicatrices, gardait encore la marque d’une violente rencontre avec un superbe taureau, dans les arènes de Lisbonne. Il y avait quarante ans de cela, mais il ne se passait pas un jour où Nuno ne nous racontât ce dernier combat, cette première défaite. La foule. Le soleil. La foule excitée par le sang. Le soleil vertical au-dessus du rond de sable. Puis les cris, et le silence.
Pour l’instant, Nuno ne parlait pas, ne jouait pas, ne pensait pas. Il vivait. Les yeux rivés à l’écran de télévision, il regardait, fasciné, la retransmission d’une corrida. Rien ni personne n’aurait pu l’arracher à sa contemplation.
J’ai posé mes cartes.
— Je n’ai plus envie de jouer, ai-je dit à mes compagnons. Si vous voulez, continuez sans moi !
Les mouches vrombissaient dans l’air, se posaient sur les murs blanchis à la chaux ou essayaient de boire nos fonds de verres. J’ai pris une cigarette dans mon paquet.
J’étais installé dans ce pays depuis une vingtaine d’années et, pour la première fois, j’éprouvais le « fado », ce sentiment étrange, intraduisible, comme une nostalgie clouée à l’âme et au ventre, une tristesse qui n’empêche pas d’être gai, mais qui, au plus fort du bonheur, ne parvient pas tout à fait à éloigner la tristesse. Le fado.
Je me souvenais d’un autre bar, presque semblable à celui-ci, dans un autre pays. C’était la même chaleur et j’avais déjà froid. Ils étaient là, tous les deux, assis en face de moi dans ce café de Bou-Ismail, exténués par de longues heures de traversée en bateau. Ils avaient peur et j’avais peur pour eux. Je lui ai dit :
— Repars ! Retourne chez nous ! La guerre sera bientôt finie, nous serons vaincus et je serai heureux !
Elle n’a pas répondu. Il n’y avait rien à répondre. Le soir même, ils ont repris le bateau. Yves ne pleurait pas. Il ne m’avait pas vu depuis dix-huit mois, et ce n’étaient pas ces quelques heures passées ensemble qui allaient changer sa façon de me considérer comme un étranger. La seule chose qui l’amusait chez moi, c’était mon déguisement de soldat. Je ne les ai pas accompagnés au port. Je suis remonté dans ma Jeep, et je suis rentré au camp.
Le Capitaine Marsan m’attendait :
— Bien roulée, ta poule ! Tu n’as pas dû t’emmerder, cet après-midi !
Je ne sais pas ce qui m’a retenu de lui mettre mon poing dans la figure. Peut-être avais-je déjà deviné qu’il serait mort le lendemain, tué dans une embuscade par une rafale de pistolet-mitrailleur, alors qu’il s’apprêtait à aller « casser du bicot et baiser la moukère ». Je ne l’ai pas pleuré.
J’ai dû prendre le commandement de notre division, aller, moi aussi, « casser du bicot », mais quelque chose s’est brisé en moi, un ressort de ma conscience s’est tendu à fond et s’est rompu. Dans cette folie collective qu’était la guerre, j’ai été un des rares à être considéré comme fou, et l’on m’a envoyé à Oran, où était installé le plus important hôpital militaire de la région. Pour les uns, j’étais un tire-au-flanc, un planqué, pour les autres, je n’étais qu’un pauvre type. Pour moi, je n’étais plus rien.
Que venaient-ils faire dans ce coin perdu ? D’ordinaire, les touristes vont plutôt dans le sud du pays, ou alors sur la côte Ouest. Mais dans notre village de l’Alentejo, il est bien rare que nous ayons de la visite. L’homme venait de terminer sa bière. Il a allumé une cigarette. Il avait l’air d’être bien, quoiqu’un peu abattu par la chaleur accablante de cette après-midi-là. La femme finissait son jus d’orange, à petites gorgées. Discrètement, j’ai appelé Julian, qui s’était installé à côté de Nuno pour regarder la corrida :
— Julian, viens voir !
Il est venu vers moi, de sa démarche chaloupée de vieux pêcheur. En le regardant marcher, j’ai compris pourquoi lui, Nuno et moi étions devenus amis. Nous avions tous les trois des blessures de l’âme à panser, ces blessures que l’on ne voit pas, mais qui sont les plus difficiles à soigner, car il n’existe pas de remèdes pour elles.
Nuno ne pouvait oublier un taureau, tout comme Julian ne pouvait oublier la mer, cette mer qu’il aimait et qui lui avait volé la femme qu’il aimait.
Qu’elle est belle, la mer, à Praia-de-Mira, sous le ciel de l’été, mais qu’elle est salée, la mer, salée comme les larmes, et noire, et profonde, quand celle que l’on aime y est engloutie à jamais.
Vous pouvez suivre toutes les actualités de l’auteur en cliquant sur les icônes ci-dessous :
Le premier salon de la Poésie de Valbonne sera organisé par Alexia Aubert. Lors de cette première édition, Gilles Bontoux présentera son roman « Absinthe », bio-fiction écrite sur la relation entre Verlaine et Rimbaud. L’auteur débutera sa conférence le samedi 10 juillet 2021 à 16h, sur le thème « Une saison chez Rimbaud » pour essayer de voir avec le public les relations intimes entre le texte « Une Saison en Enfer » et la vie de Rimbaud.
(à écouter: https://www.youtube.com/watch?v=gaOfWFIJSlw&t=56s)
Gilles Bontoux